Maryse Latendresse, une auteure fière de son dernier bijou : Les hommes de ma mère
Laurie Mongrain
8/7/2023


Le lundi 24 juillet dernier, les médias étaient conviés au visionnement de presse du tout premier long-métrage d’Anik Jean : Les hommes de ma mère.
Pour l’occasion, nous avons eu l’honneur de nous entretenir avec nulle autre que Maryse Latendresse, auteure du projet. Cette dernière nous a entre autres parlé du processus de création, des défis qu’elle avait dû relever ainsi que de ses autres projets à venir. Une conversation sincère, unique et inspirante !
Tout d'abord, pourquoi aller visionner ce long-métrage en salles ? La réponse est simple : être transporté, ému, réconforté, se sentir interpellé et partager un doux moment. « C’est un film qui fait du bien, qui peut rejoindre plusieurs personnes pour différents éléments, puis qui part d’une grande sincérité. » Traitant de plusieurs sujets brûlants d’actualité et mettant les relations familiales au premier plan, ce drame bousculera certaines de nos croyances. « C’est l’amour pour les hommes, mais c’est l’amour aussi pour les liens de filiation. » Sans exception. « Je trouve que les beaux-papas, les belles-mamans, ont un grand impact dans la vie des enfants qu’ils côtoient puis c’est un hommage à ces gens-là beaucoup. Je pense donc, j’espère en tout cas, que ça va toucher ces gens-là entre autres. »
Lorsque nous avons demandé à Maryse comment était née l’idée du film, elle nous a confié que le scénario était basé sur son vécu personnel. « C’est vraiment tiré de ma propre histoire. Mes parents se sont séparés quand j’étais toute petite. » Fidèle, son paternel, duquel elle a une certaine proximité, est demeuré avec la même personne à compter de ce moment-là. Les trois s’entendent à merveille, contrairement à ce que nous pourrions croire après le visionnement du long-métrage. « Mon père est avec la même femme depuis le début, mais je suis en très bon terme avec lui, ça n’a rien à voir avec une dispute. Je suis en très bon terme avec mon père, le froid était seulement pour le bénéfice de l’histoire.
Elle tenait à rendre hommage à la vie excentrique de sa mère dans cette œuvre. C’est, en fait, la raison première à l’existence du film. « Ma mère, elle, dans la réalité, a quand même eu plusieurs histoires amoureuses et j’ai trouvé que c’était un beau bagage qu’elle m’avait légué. Ma mère est toujours vivante, ce n’est pas la même chose que dans le film. J’avais envie de rendre hommage à cette vie amoureuse éclatée de ma mère et à tous ces amours-là qu’elle a vécu et qui, en fait, m’ont marquée. Chaque homme dans la vie de ma mère a laissé une trace, alors je me suis dit qu’il y a quelque chose de beau là-dedans. »
L’auteure du film tenait également à rappeler qu’il y a du positif dans la vie d’enfants dont les parents ne forment plus un couple. Que la séparation n’est pas forcément synonyme de cauchemar, de négativité ! « C’était vraiment l’élan de dire que même dans une vie de parents séparés, divorcés, il y a quelque chose qui peut être beau à travers ça. Ce n’est pas obligé d’être le chaos, alors j’avais envie de raconter ça. »
Elle rêvait d’écrire un tel scénario depuis le début de ses études dans le domaine. « En fait, moi, je suis allée à l’Inis en 2012. J’ai fait le diplôme Écriture de long-métrage et c’est là que j’ai écrit la première version dans le fond de ce scénario-là. J’en suis sortie en 2013, puis je l’ai mise dans un tiroir. » Anik Jean l’a bien aidée, leur collaboration exceptionnelle. « J’ai rencontré Anik juste en 2018, alors c’est à ce moment-là que j’ai recommencé à travailler sur le scénario avec elle et la SODEC. On a eu quand même plusieurs détours avant d’avoir un oui officiel, donc ça a été beaucoup de travail. » Ainsi, quelle est sa plus grande fierté ? « C’est d’avoir eu la tête dure ; de moi, y avoir cru. » Comme quoi, ne jamais baisser les bras, foncer et suivre son instinct s’est avéré fructueux. « La version un versus la version finale, c’est un long chemin rempli de défis, mais on est très, très contentes d’être arrivées là. »
Seul son beau-père actuel a eu un droit de véto sur le nom du rôle qui l’incarnerait. « C’étaient des noms fictifs, mais le chum de ma mère en ce moment, l’homme de ma mère en ce moment, c’est lui qui a choisi le nom du personnage qui l’incarne dans le film (rires). » Tous les personnages ont des noms fictifs, omis le défunt Robert, en guise de révérence. « En fait, il y a le nom de Robert qui est vraiment Robert, mais lui, il est décédé donc c’est une forme d’hommage aussi. »
Sorti en salles l’année dernière, son second scénario intitulé Pas d’chicane dans ma cabane ! portait l’empreinte du sujet traité dans Les hommes de ma mère, la même thématique. Soit que la vie d’enfants du divorce peut avoir du beau. Fruit du hasard ? Au contraire. « C’est un peu le même élan, alors on dirait que c’est vraiment le message que je souhaite véhiculer. » Et pourquoi donc ? Afin d’apaiser les tourments de la jeune fille qu’elle était autrefois. « Probablement parce que, quand j’étais petite, je me faisais dire que ce n’était pas drôle la vie d’une enfant dont les parents ne sont plus ensemble qu’on ne souhaite le divorce pour aucun enfant. Moi, j’étais tannée d’entendre le côté négatif de cette vie-là. »
À son avis, grandir au sein d’une famille dont les deux parents sont heureux chacun de leur côté est mille fois plus agréable, doux et adéquat que de subir le climat susceptible d’être instauré par des adultes malheureux d’être ensemble. « C’est vraiment ça le message que je portais en moi ! » Elle soulève d’ailleurs quelques questionnements. « Ça peut-tu être beau aussi ? Pouvons-nous dire qu’il y a des avantages à ça ? On peut-tu dire que, quand des parents ne s’aiment plus, c’est peut-être mieux qu’ils ne soient plus ensemble et qu’ils nous montrent des modèles amoureux autres ? Plutôt que de rester ensemble pour le bien de l’enfant qui, dans le fond, ne bénéficie pas d’un désamour, d’un amour qui n’existe plus. »
Elle qualifie sa collaboration avec Anik Jean d’« extraordinaire ». Mais, comment ce duo féminin « du tonnerre » est-il devenu envisageable ? De cette façon ! « Ce qui est arrivé, c’est que moi, je voulais vraiment que ce soit une femme qui réalise, donc j’ai parlé de ce projet-là à mon agent, notre agent comme on a le même, Claude Girard. Je lui ai dit : je veux que ce soit une femme, et cetera, puis il a fini par me donner le nom d’Anik. » Maryse, marquée par l’une des œuvres de cette dernière, n’a pas tergiversé longtemps, voire du tout, avant d’approuver, acceptant de la rencontrer. « Là, j’ai des frissons partout, parce que moi, j’avais vu Lost Soul quelques années avant puis ça m’avait vraiment touchée beaucoup, beaucoup. Ça m’avait bouleversé, son film. Et donc, quand il m’a donné son nom, j’ai tout de suite eu envie de la rencontrer. J’étais vraiment enthousiaste ! » C’est ainsi qu’est née une magnifique relation, tant professionnelle qu’amicale. « On s’est rencontrées puis, à partir de ce moment-là, ç’a connecté nous deux. On s’est trouvées, on est devenues vraiment proches. Elle partageait un passé familial qui ressemblait un peu au mien. On avait la même énergie et envie de dire les mêmes choses. » Il a cependant fallu que les deux femmes tombent de leur nuage, puis regardent la vie avec lucidité. Avant de s’associer, le projet devait plaire tant à l’une qu’à l’autre. « J’ai par contre dit : avant de me dire oui, lis mon scénario ; puisqu’elle ne l’avait pas lu encore. Finalement, elle l’a lu, elle m’a appelé puis elle m’a dit : ce serait vraiment un beau cadeau si je pouvais faire la réalisation. Ça a donc été extraordinaire. » Peu de temps après l’entente, un malencontreux événement est survenu dans la vie de la productrice, la reliant au projet à tout jamais. « Après ça, elle a vécu la mort de son père, donc elle a traversé un peu un deuil similaire au personnage d’Elsie. Ça l’a encore plus rapproché au projet. C’est assez touchant tout ça. » Leur lien n’est d’ailleurs pas près de s’effriter, malgré que les tournages soient terminés. « On veut absolument recollaborer ensemble, les deux, puisque ça a été un réel bonheur. »
L’auteure nous l’a confirmé, le scénario contemplable au grand écran « on dirait qu’il n’a jamais été écrit. Il y a tellement eu de versions ! » Elle lui a donné tout son cœur, y a rangé sa propre histoire. Se cachent donc derrière ce film beaucoup d’énergie dépensée et de luttes remportées, à la fois pour elle-même et son entourage. « Ce projet-là, il est extrêmement personnel. Ce n’est pas pour rien que j’ai la tête dure et que ça a pris onze ans avant que ça arrive jusque-là. »
Sans l’équipe qui l’entourait, elle n’y serait, selon elle, jamais parvenue. Ses échanges lui ont effectivement donné la dose de motivation et d’audace nécessaire à un tel projet. « À la base, j’écrivais des romans, des nouvelles, tout ça, mais mon vrai rêve, c’était d’écrire pour le cinéma. Mais je n’avais pas le cran, puis Anik Jean, ça, elle en a. C’est ce que j’admirais d’elle entre autres, mais moi, je n’avais pas ça. »
C’est bien beau tout ça, mais d’où part l’étincelle ? La braise, l’envie incontrôlable de planer sur un projet d’envergure si intense, si personnel, si magique ? D’une soirée inoubliable. « Un jour, je suis invitée par un de mes amis comédiens, Mario Saint-Amand, qui est en nomination dans un gala qui s’appelait Les Jutras (Gala Québec Cinéma). Il était en nomination puis il voulait nous remercier, puisqu’on avait été là dans sa vie, puis tout. J’assistais donc à ce gala-là, puis j’étais au théâtre Saint-Denis. » Elle y vit alors l’un de ses modèles monter sur la scène, acclamée et reconnue par tous. « L’endroit où j’étais assise faisait en sorte que j’étais très loin dans la salle, mais juste à côté de l’allée qui menait à la scène, puis c’était Paule Baillargeon la cinéaste, que j’aime tellement, qui recevait le prix hommage ce soir-là. » Le discours qu’elle y fit bouscula bien des choses dans sa tête, dans sa vie. « Paule avait fait un discours incroyable dans lequel elle disait : Heille, les femmes ! Quand vous avez un rêve, assumez-le. Bottez-vous donc le derrière. Il n’y a personne d’autre que vous qui allez réaliser votre propre rêve. Elle a cité John Cassavetes, en disant : vaut-il mieux se battre et perdre que de rêvasser en silence et de souffrir ? » À la fin de la soirée, Maryse était décidée, elle devait se rendre au bout de ses aspirations. « Je suis sortie de là en disant à mon chum que je devais m’assumer et m’inscrire à l’Inis. Je voulais écrire un long-métrage. J’ai fait ça pour vrai le lendemain matin, et je suis ici en ce moment. »
Le sentiment qu’elle éprouvait à la suite de la première diffusion était inexplicable. Une puissante dose d’émotions la submergeait, atténuée toutefois grâce à son professionnalisme. « La première fois que je l’ai vu, c’est un moment dont je risque fort de me souvenir jusqu’à la fin de mes jours. C’est très touchant. » Elle n’a su décrire ce que ces instants inégalés signifient dans le parcours des gens pratiquant son corps de métier, révélant par cette incapacité l’ampleur du moment. « C’est toujours une expérience unique de vivre ça comme scénariste, parce que c’est sûr qu’on a une idée du film. On se fait notre propre film, ensuite on le voit. C’est comme une réappropriation de notre histoire, donc ça devient immense. » Fière de la distribution « C’est sûr que de voir ça incarné aussi par des comédiens si brillants, c’est comme un rêve qui se réalise ! Dans le fond, c’est vraiment un rêve réalisé » et des efforts soutenus déployés « je me suis battue pour que ça se fasse, alors je suis super contente », l’auteure du projet mérite de récolter le crédit de son acharnement « Je dois être vraiment honnête, ça, c’était littéralement ce que je rêvais d’écrire. »
L’écrivaine s’est beaucoup impliquée, et ce, tout au long du processus de création, ce qui ajoute à l’aspect sentimental. « J’ai vraiment assisté aux tournages beaucoup aussi, alors j’avais quand même une idée très claire de ce que ça allait être, mais c’est toujours une espèce de choc émotif quand tu vois le résultat final, parce que ça traverse le cœur de la réalisatrice, le cœur du monteur, le cœur de l’équipe en général. Avec la musique qui s’ajoute, en plus de tous les choix qui ont été faits précédemment. » Ainsi, elle compte poursuivre dans ce domaine encore plusieurs années. « J’ai d’autres projets. Il y a six autres films que je suis en train de travailler ou de développer, mais ça part beaucoup plus des autres que de ma propre histoire. Ce sont des idées qui naissent d’ailleurs, mais qui ne sont pas aussi personnelles que ce projet-là. » Néanmoins, elle ignore si l’un de ces futurs concepts la marquera autant que ce dernier. « Je ne sais pas s’il va y avoir d’autres projets qui vont venir me chercher aussi loin. J’espère que oui, sauf que ça risque d’être autrement. Celui-là, Les hommes de ma mère, est et restera très précieux. »
Finalement, soulignons que sa plus grande joie est de ne jamais avoir baissé les bras. De toujours avoir cherché à accomplir son rêve de porter à l’écran une tranche de vie. « La chose dont je suis la plus fière, c’est d’avoir eu ce cran-là malgré tous les écueils, tous les obstacles. D’y avoir cru, puis qu’aujourd’hui, ça devienne un film qui va aller toucher le cœur de plusieurs personnes. Du moins, je l’espère. »
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